KUNA YALA
(Kuna se prononce Gouna. Etym: « Yala » montagnes, terres; Les montagnes Kunas)
« C’est le territoire des kunas défini en 1953 par la Carta Orgánica de la République du Panamá. Appelé dans le document d’origine Comarca de San Blas c’est plus récemment qu’il reçut son nom kuna pour devenir Comarca de Kuna Yala et depuis 2010: Comarca de Guna Yala. Ce territoire autonome comprend une bande de terre de 320 000 ha le long de la côte Atlantique du Panamá allant de Puerto de Obaldía, à la frontière avec la Colombie, jusqu’à la Punta de San Blas à l’ouest, soit une longueur d’environ 230 km. Il comprend aussi plus de 365 iles coralliennes qui s’égrainent tout le long du territoire continental, toutes aussi belles les unes que les autres, affleurant à peine, souvent ourlées d’un lagon turquoise » M. Lecumbery
Olivier
Je me souviens que notre arrivée au Kuna Yala fin Juin 2013 fut très dure. Après 5 jours de navigation sportive en provenance de la Jamaïque, nous étions heureux de pouvoir enfin poser notre ancre et nous reposer. Mais à 5 miles de l’arrivée, nous avons essuyé notre premier « coup de pollo » : dépression de quelques miles de diamètre, avec de fortes précipitations, de l’orage et des vents violents. Certaines rafales atteignent 70 nœuds! Heureusement, ça ne dure pas longtemps, juste assez pour bien flipper.
Ces « culo de pollo », traduire « cul de poulet », furent très fréquents les premiers mois qui suivirent notre arrivée, presque tous les jours ou nuits et j’avoue que j’en ai beaucoup souffert. En général ça arrive à 3 ou 4h du matin et ça vous réveille pour une heure. On enfile alors notre veste de quart et je démarre un moteur pour être prêt au cas où l’ancre dérape malgré les 60m de chaine! Le danger vient aussi des autres bateaux à coté de nous, qu’on distingue à peine. On en profite aussi pour refaire le plein d’eau douce en récupérant l’eau de pluie (seul point positif…). Quand l’orage est là, on ne voit plus les iles autour et encore moins les récifs environnant, c’est assez stressant sans parler des éclairs qui menacent de nous foudroyer.
Une nuit on a évité la catastrophe de très près. L’ancre avait dérapé, j’étais aux commandes, moteurs en route, Steph sur le pont avec un phare pour se repérer, quand soudain un éclair a illuminé un récif à 2m de la coque bâbord! Un deuxième éclair met à jour un autre récif « à 1m sur tribord » me crie Stéphanie! Une grande marche arrière et une bonne frayeur plus tard, nous sommes allés mouiller plus loin dans le lagon, au milieu de nulle part.
La fatigue des mauvaises nuits, les frais d’entrée au Panama (à peine arrivés vous devez alléger votre portefeuille de plus de 600 dollars) et le manque de bateau-copain m’ont démoralisé ces premiers mois.
Heureusement le temps s’est amélioré, les rencontres humaines nous ont réchauffés les cœurs et nous avons ensuite pu visiter ce magnifique archipel avec plus d’enthousiasme. Le voyage pouvait continuer et j’oubliais mes envies de retour à terre.
Stéphanie :
Comme vous deviez vous en douter, si les magnifiques iles du Kuna Yala n’avaient été que plages de sable blanc, eaux cristallines et cocotiers nous caressant de leurs ombres bienfaisantes, nous ne serions pas restés deux ans au Kuna Yala.
Mais alors, comment vous parler du Kuna Yala? Comment vous faire partager cette escale devenue initiatique, sans la dénaturer, sans la balayer de clichés grossiers, sans la peindre aux seules couleurs exotiques dont le monde raffole?
Car le Kuna Yala est justement l’antidote à l’exotisme mis « touristiquement » en scène, au folklore avec ses coutumes en carton-pâte. Et notre devise « faire un voyage à la rencontre de l’Autre » a pris ici toute sa dimension.
Nous avons certes su prendre le temps, mais surtout nous avons accepté de changer notre regard et osé rentrer dans la vision du monde de l’Autre.
Les Kunas nous ont en quelque sorte appris à aller vers l’Autre. «L’Autre compris non pas dans son irréductible différence mais dans sa proximité, et même dans sa proche fraternité». (JC. Guillebaud)
Il s’est effectué alors tout naturellement un partage de vie qui à jamais nous changera dans nos âmes.
En arrivant au Kuna Yala nous avons eu l’impression de pénétrer au cœur d’un documentaire de National Geographic. Nous regardions les indiens Kunas comme d’étranges êtres aux coutumes obscures. Nous les voyions comme hors du temps. Un peuple mystérieux et inaccessible.
Or avec le temps ; car toute la richesse de notre aventure réside justement dans ce temps que nous avons décider « de prendre », non pas dans le désir insolent de vouloir l’arrêter, mais de le vivre pleinement…. Avec le temps donc, ces indiens qui nous paraissaient si différents, sont devenus des hommes comme vous et moi, et avec encore plus de temps, nous avons pu les rencontrer, que dis-je, nous rencontrer, partager nos vies. Grâce à ce voyage, la routine de l’autre se partage, les étrangers que nous sommes peu à peu se transforment en une rencontre, devient un repas préparé ensemble, une cérémonie ancestrale partagée (chicha*), un panier tissé à 4 mains, une mola** cousue l’un à coté de l’autre, une sortie en mer entre amis, une pêche miraculeuse…
Olivier:
Le Kuna Yala, aussi appelé San Blas par les panaméens, sont un groupe d’iles proches de la cote atlantique du Panama, mais aussi une grande région côtière du pays, voisine du Darien. Les indigènes Kunas qui les occupent, sont organisés en communautés de villages eux même organisés en sorte de coopératives. Ils vivent principalement de pêche, des plantations à terre et du commerce de la noix de coco. Ils ont leur propre langue, mais beaucoup d’entre eux parlent aussi l’espagnol. Les iles les plus proches de la Colombie, que nous avons tant aimé parcourir, sont les plus conservatrices, les plus traditionnelles, encore préservées du tourisme, de la société de consommation à outrance. Les iles villages ont des Sahilas (chefs de village et chefs spirituels) qui savent encore accompagner leur peuple dans la tradition. Leurs valeurs sont celles de Mère Nature, les hommes en sont leurs « serviteurs » et ont pour mission de la protéger.
Les relations avec les Kunas peuvent parfois paraître difficiles, certains les trouvent mercantiles, conservateurs ou fermés. Je crois qu’ils sont surtout timides et réservés. Nos rencontres avec les Kunas furent très différentes d’une ile à l’autre, et nous nous sommes souvent interrogés sur notre impact sur leurs communautés et leurs traditions. Certaines iles villages ont des lois très strictes : alcool, tabac et télévision interdits, alors que d’autres sont plus libres. Certains villages que nous avons visité ne voient que 4 ou 5 voiliers par an, mais ce n’est pas pour autant que les habitants se ruent sur nous à l’arrivée. En général nous avons l’impression de passer inaperçus, nous pouvons airer dans les villages librement et naturellement, partager le quotidien d’un peuple qui nous accueille comme des hommes et femmes égaux. Puis avec le temps, la timidité s’estompe, les langues se délient et la complicité s’installe. On a envie d’échanger, échanger des pensées (fonctionnement de la politique Kuna, de leur philosophie), des recettes de cuisine, des idées d’artisanat et parfois quelques cadeaux. J’ai échangé un cordage contre une machette, Stéphanie troque des molas contre des vêtements d’enfants, un paquet de farine vaut largement son poids en citrons frais.
A Puerto Perme, près de la frontière colombienne, nous avons sympathisé avec une famille du village. Le papa, Andres, parlait bien espagnol car il avait travaillé quelques années à Panama City. Il nous a expliqué comment fonctionnait sa communauté, je suis allé péché avec lui et nous avons partagé le repas dans sa hutte familiale. Stéphanie a appris à tisser les paniers, cuisiner le Doulemassi (soupe traditionnelle Kuna) ou à faire les Winis, bracelets kunas que les femmes portent aux bras et aux jambes, les gardant ainsi aussi fines que possible (à chacun ses canons de beauté) et dont les motifs ancestraux transmettent aussi la culture de la Terre Mère. C’est là aussi qu’elle a commencé à apprendre la langue Kuna.
Et les enfants ? Comme d’habitude, ils ont disparus avec leurs nouveaux copains admirer toucan, perruches et autres « mascotas » (comprendre : animaux de compagnie), partager une partie de foot ou naviguer en pirogue a voile. Au cours de ces deux années dans le Kuna Yala, ils ont appris l’espagnol et un peu le kuna et se sont ainsi fait des copains dans chaque ile (à défaut de copines dans chaque port).
Stéphanie
Mais…. aaahhh, à croire qu’il y aura toujours un MAIS… ? Cette riche culture que les Kunas nous ont fait si généreusement partager, sans l’avoir non plus totalement percée, devient peau de chagrin sous l’influence du tourisme qui s’empare des valeurs ancestrales de ce peuple. Les Kunas ont pourtant résisté vaillamment aux affres de la colonisation, jusqu’à faire une révolution sanglante il y à 90ans pour acquérir leur autonomie et indépendance, car comme ils disent : « un indien sans terre est un indien mort ».
Mais aujourd’hui ils sont sans défense contre l’invasion du dollar. Heureusement ce tableau n’est pas uniformément peint de la même couleur sur tout l’archipel. Le sud-Est reste peu fréquenté par manque d’accessibilité et les touristes y sont rares. Ces villages peuvent ainsi préserver leur mode de vie simple et proche de la nature. Pour combien de temps? Cela dépendra du niveau de discernement des sahilas du peuple Kuna et du degré de respect des futurs visiteurs.
Espérons que dans les années à venir, il ne reste pas seulement de cette culture, des Molas, des Nuchus (figurines en bois incarnant l’âme des Kunas) et des Winis exposées dans les vitrines de boutiques à souvenirs.
Le KunaYala fut pour moi une école de la vie, où mes leçons me furent données « par des précepteurs inconscients de leur charge à une élève inconstante, toujours sur le départ, mais venue de très loin pour recevoir l’enseignement » (S.Tesson).
Parmi tant d’autres… je me souviens de :
Lisa (de l’ile de Rio Sidra) ou Prado (de l’ile de Soledad Miria) créateurs de Molas, artistes à mes yeux, qui m’ont généreusement fait partager leur connaissances des Molas, des contes qu’elles illustrent, des symboles et traditions qu’elles transmettent souvent rêvées par son créateur.
Bredio (dans les iles Robeson). Un homme magnifique de part sa sage philosophie de la vie. Orphelin à 6ans, il fut adopté par une famille Kuna qui l’emmena vivre sur la grande ile de Carti. Quand il fut en age d’aller à la grande école, ils partirent alors s’installer à Panama City. Là il pu apprendre un métier et l’espagnol. Autour de ses 24 ans, alors que Bredio avait une très bonne situation à Panama city, alors qu’il « gagnait très bien sa vie » comme on dit, un vide subsistait, une aigreur lui faisait perdre la saveur des « bonnes choses » que la ville, le développement avaient à lui offrir. Il partit alors à la recherche de sa famille sur son ile natale et comprit alors que là était sa vraie vie. Loin du « confort » de la vie moderne il trouva l’apaisement de la vie traditionnelle. « Ici plus besoin de courir pour posséder toujours plus. Ici tu manges ce que la Terre Mère peut t’offrir si tu veux bien te donner la peine de la cultiver ou de pécher. Ici tu partages ta vie avec les tiens et vis le moment présent avant que demain il ne devienne déjà le passé. » (Bredio).
Téo (de l’ile de Nalunega) qui avait transformé sa case en un musé d’hier et d’aujourd’hui. À travers ses sculptures, récits et peintures, il raconte aux enfants du Kuna Yala (et aux quelques touristes curieux) la version Kuna de l’histoire de l’humanité et fait vivre la mémoire des Kunas (histoire, médecine, traditions). Musé d’aujourd’hui aussi, car pour sensibiliser son peuple à la menace que représente la consommation à outrance au détriment d’une Terre que l’homme a pour mission de protéger, Téo a construit sa case en bouteilles de plastiques, tongues et autres déchets ramassés devant sa case au bord de l’eau, comme vomis par la mer, trop plein d’un autre monde, dit «civilisé ».
Je pense aussi à Achu, artiste peintre Kuna (et poète à mes yeux), son cœur que dis-je, son âme partagée entre sa vie de famille au Canada et ses racines au Kuna Yala où il revient 5 mois pas an. Un pied dans l’occident capitaliste matérialiste et l’autre dans la philosophie naturaliste Kuna le tout donnant naissance à des peintures où la culture Kuna et notre Terre Mère se débattent dans les tourments de cœurs humains à la dérive.
Je pense aux parents de Achu que je connais à peine, mais je les voie encore assis l’un à coté de l’autre devant leur maison à Ustupu, vieux, tendres, lucides et à la fois paisibles, connectés au monde, à l’univers.
Les Kunas : leur culture encore fortement ancrée les rend fiers de leur peuple, de leurs traditions et nous saluons cette sagesse. Ils n’ont nullement besoin de nous pour bien vivre et ce fut une chance pour nous de naviguer entre ces iles et de rencontrer ces indiens qui devinrent nos voisins d’un temps.
Si vous souhaitez en savoir plus sur cet incroyable peuple, nous vous recommandons vivement la lecture des articles et livre de Michel Lecumbery:
http://www.sagapanama.fr
http://www.sagapanama.fr/article-les-iles-san-blas-traditions-et-molas-kunas-le-livre
https://fr.wikipedia.org/wiki/Kuna tribu
* la chicha est une cérémonie traditionnelle kuna de plusieurs jours célébrant une étape de la vie d’une fille (première coupe de cheveux, menstruations,mariage). La famille et tout le village se réunit et boit la « chicha fuerte », une boisson à base de jus de canne fermenté.
ça devait être terriblement bien pour rester avec du 70nds la nuit!!!