Lorsque j’ai rencontré Julio l’année dernière à Cuba, après seulement quelques heures, je l’avais quitté en regrettant de ne pas pouvoir passer plus de temps avec lui. Comme lisant dans mes pensées, en claquant la porte du taxi qui me ramenait à Santiago il m’avait alors dit «ne t’inquiète pas, nous nous reverrons». Je ne le savais pas encore, mais il avait raison. Quand je l’ai enfin retrouvé à son travail à la Casa del Caribe ce vendredi 24 mai, j’ai été comme prise dans une tornade d’amour, d’énergie positive et d’une richesse intellectuelle enivrante.
Il est brillant Julio, vif, aimant, curieux, passionné et passionnant. Il m’a fait rencontrer ses collègues qui avaient du mal à le croire lorsqu’il relatait nos récits de voyage. Alors, preuve vivante de ses récits, je leur racontais à mon tour notre mode de vie et de voyage.
Puis nous avons planifié les événements des jours à venir à son village de El Cobre. Rencontres avec les peintres, séances de cinéma (aux enfants du village, ceux de l’hôpital des enfants touchés par le SIDA et le centre des orphelins de la région), diaporama pour expliquer notre voyage (montrer notre bateau, raconter la vie en mer), interviewer les peintres, rencontrer un grand musicien de Steel Band originaire de El Cobre, sans oublier bien sûr la visite de la Basilique de la Vierge de la Charité du cuivre (patronne de Cuba).
Nous y avons allumé deux cierges. Un pour la dame de la maison verte de la marina (les voiliers qui sont passés a Santiago sauront de qui je parle) et un pour nous, pour que la vierge prenne soin de nos proches, de nous, protège notre voyage et nos vies. Je fus très émue en voyant les nombreuses offrandes des pèlerins: des mèches de cheveux, beaucoup de stéthoscopes, des dessins d’enfants, des prothèses de jambes, des plâtres, des médailles de guerre ou de champions sportifs cubains, des diplômes, des fruits, des broderies, des bijoux, le prix nobel de littérature de Hemingway! Etc. C’est bouleversant de voir tant de témoignages de guérison, d’affection et de gratitude.
Nous avons apporté à Julio (représentant aussi de l’association «Un Regard, Un Enfant») les derniers dons que nous avions collectés en Martinique (vêtements, chaussures, livres, jouets) car nous savons qu’il saura les redistribuer intelligemment et justement aux plus démunis. Il connaît chacune des familles de El Cobre, les prénoms de tous les enfants de l’hôpital et de l’orphelinat et les aime tous comme ses frères et soeurs (il le leur dit d’ailleurs). Il saura donner selon les besoins de chacun, s’assurera que rien ne soit revendu et tout ça sans que le «riche» étranger soit associé à ces dons. Car nous ne voulions pas non plus modifier les relations et contacts avec les habitants, encore basés sur la simple rencontre de l’autre, l’amour et le partage.
Je ne sais pas encore si je pourrai un jour vous faire partager ces précieux instants avec Julio, riches d’une grande humanité, ni comment je vais pouvoir retranscrire tout ce que ces nombreuses rencontres nous ont permis de comprendre sur Cuba.
Je ne peux pas prétendre connaître Cuba et les cubains après seulement quelques mois passés dans ce magnifique pays. Donc ce qui suit ne sont que des impressions, une analyse très personnelle faite de nos rencontres, de ce que je suis, de ma sensibilité et de ma modeste connaissance du monde qui d’ailleurs, plus je découvre Cuba, plus je voyage, plus elle me semble réduire telle une peau de chagrin. Sans doute ma vision sera loin d’être complète car je n’ai pas pu voir toutes les facettes de ce monde complexe qu’est Cuba.
Comparé aux autres îles de la Caraïbe, à Cuba nous sommes loin des éternelles discussions sur l’esclavagisme et la mixité ethnique. Les cicatrices de la colonisation semblent bien lointaines, sans doute dû aux luttes violentes et sanglantes menées par UN peuple pour son indépendance à la fin du XIX (avec ses célèbres figures comme Antonio Maceo ou Jose Marti).
A Cuba, contrairement aux autres îles de la Caraïbe, la population bénéficie de services à la population parfois totalement gratuits (médecine, éducation), voire très peu chers: transports (certes en piteux états), électricité, loyers, spectacles (très riches et avec tous les derniers films internationaux à l’affiche, même américains! Lorsque nous étions à la Havane « Magic Mike » était à l’affiche). Un système de santé d’ailleurs très réputé (et respectueux du puissant pouvoir des plantes), a tel point qu’a Saint Martin et en Guadeloupe des médecins et dentistes nous ont même conseillés de nous faire soigner à Cuba! En rajoutant que très nombreux sont les médecins de l’arc antillais et d’Amérique du sud qui ont été formés par les médecins cubains.
Ce qui nous a également marqué c’est le niveau d’éducation des gens, un éveil culturel riche (malgré la dictature) qui nous a permis de réels échanges intellectuels, de riches discussions avec les cubains que nous avons rencontrés (jeunes, vieux, chauffeurs de bicitaxi, paysans, pécheurs, professeurs, ingénieurs etc.). L’éducation fut une des priorités de cette dictature et de la révolution, facilitant ainsi l’émergence d’un peuple éduqué qui permettra peut-être aux cubains de faire des choix d’avenir plus judicieux que les nôtres? (laissez moi rêver un peu!). Les cubains que nous avons rencontrés sont persuadés que le successeur de Raul Castro devra cette fois être élus démocratiquement par le peuple et qu’il sera de Cuba même. Car si les jeunes adorent le baseball, mange des «hamburguesas» et boivent du «cola», ils ne rêvent pas pour autant d’Amérique. Le peuple cubain sait bien que l’embargo américain n’est pas à l’origine de tous leurs malheurs et de certaines absurdités du système actuel, mais il sait aussi que les Etats-Unis ne seront pas non plus leurs sauveurs (comme ils ont prétendu l’être en 1898 selon le «Platt Amendment» en se réservant le droit d’intervenir à volonté à Cuba pour «préserver l’indépendance de l’île»).
D’après les gens avec lesquels nous avons parlés, Julio, les peintres, les chauffeurs de taxi (anciens ingénieurs, directeurs d’hôpitaux, électroniciens), des professeurs etc. Les Cubains sauront construire leur avenir seuls, comme des grands. Mais je ne peux m’empêcher de me demander si le lobby cubain des radicaux d’extrême droite de Floride, un des plus puissant des Etats Unis, saura éteindre sa colère contre « les Castro », contre la révolution, pour laisser les cubains libres de continuer d’écrire leur histoire.
Je parle souvent de la dictature et de la révolution, ne pouvant les dissocier. En effet, à mon sens, ce qui fragilise aujourd’hui la dictature castriste, c’est justement l’effritement de ce sentiment révolutionnaire d’un peuple soudé et uni. Car le plus grand changement qui s’opère jour après jour à Cuba depuis l’apparition de la monnaie des «touristes», le CUC, c’est le morcèlement du peuple cubain. Car même si le CUC est taxé afin de redistribuer la richesse au peuple, il y a bien deux Cuba aujourd’hui, celui des Pesos Nacional et celui du CUC. Et ces nouveaux consommateurs cubains qui commencent à s’enrichir (entre autre) grâce aux travers du système de double monnaie font naître une forme d’esprit de consommation, au sein d’un pays encore «socialista» (communiste). Le peuple cubain semble se diviser aussi car la faim (dans les années 90), le manque de liberté individuelle, de confort matériel, d’argent pour ceux qui n’accèdent pas aux CUC, font naître des souffrances du corps, de l’âme qui lentement éteignent les flammes du coeur. A l’amour du peuple, de son prochain, de la solidarité succède un individualisme, un désir de consommation et une insécurité naissants, nouvelles façons pour les cubains de perdre leurs libertés aussi.
Aujourd’hui, le peuple cubain commence à exprimer tout haut le raz le bol qui se chuchotait dans les chambrées (sur Santiago et Cienfuegos du moins). La jeunesse, qui n’a pas connu la révolution, aspire à d’autres horizons. Un changement est déjà en route. Il semble que les cubains soient convaincus que l’avenir n’est pas dans le «socialismo» sauf que, en voyant la crise économique que subissent nos pays capitalistes (en Europe, aux Etats Unis…), les dégâts écologiques que la consommation à outrance engendre, les cubains se disent que le capitalisme n’est pas non plus la solution. Alors ils cherchent une nouvelle voie qui lui donnera une plus grande liberté politique tout en préservant les apports sociaux de la révolution. Ils espèrent trouver des choix de développement différents, observent les initiatives du Brésil, et pour la plupart, pensent que l’avenir devra être pensé autour de l’écologie et du respect de la planète. Mais ces idées résisteront-elles aux plaisirs addictifs de la consommation à outrance de chinoiseries en tous genre sous des emballages aux parfums de bien être, de sécurité, de développement, de bonheur et d’amour?
Etant donné la propagande massive, tant pour que contre, qu’à généré la révolution cubaine, il serait impossible de venir dans cette île sans quelques idées préconçues. Je défie quiconque, arrivant dans un esprit ouvert, de garder ses idées intactes. Etre à Cuba est en soi une expérience riche et instructive. Et contrairement à la croyance populaire, il est facile de voyager partout à Cuba en utilisant les transports locaux (plus long mais plus authentique) ou les cars touristiques qui sillonnent toute l’île.
En bref, naviguer à Cuba, fut bien autre chose qu’une croisière dans la plus grande île des Caraïbes. Loin des sentiers battus, cette escale nous a permis de découvrir la nature dans sa virginité, de vivre l’abondance de la mer, de voir de nos propres yeux une des grandes expériences sociales de ce siècle et surtout de rencontrer les cubains. Car les cubains sont extraordinaires, spontanés, ingénieux, courageux, curieux, amicaux et généreux! Il faut aller à Cuba, rien que pour les rencontrer!
Pour voir plus de photos: http://flickr.com/gp/3metz/7hp3S8/
(désolée pour les accents manquants, je ne maitrise pas encore toutes les astuces de mon clavier)
une pensée pour vous steph, j’ai été touché par ton témoignage.
gros bisous et bon vent ( direction pacifique?)
z
Merci Stéphanie pour cette belle analyse !! cela me donne envie de retourner à Cuba ,en parlant un peu la langue ( je comprend et lis à peu près mais je ne sais pas parler, sauf quelques mots usuels..) ou etes vous à présent,?
après notre courte rencontre au moment ou nous quittions l’ile pour les Açores nous avons fait une transat un peu agitée la première semaine: 4 jours à tirer des bords contre vent et courant puis un peu de vent jusqu’aux Bermudes , l’anti cyclone présent sur l’Atlantique nous a contraint à monter très nord (à la hauteur de New -York ou nous serions bien allés…) ensuite voile et moteur jusqu à Florès ; séjour dans l’archipel des Açores ( encore un endroit magique), puis arrivée à St Malo fin aout, ou le bateau attend son nouveau mat …..à suivre ….. bonne route à vous , bises aux enfants