Mai 2012: Haïti, île à Vache.

Haïti, Côte Ouest: île à vache, Baie à Ferret

3 pirogue d'île à vache

Ile à Vache fut pour nous tous une étape marquante du voyage et nous a tous plongé dans de longues réflexions, des questionnements ou des incompréhensions.

comité d'accueilLorsque vous arrivez à île à Vache en bateau vous êtes tout d’abord accueillis par de nombreuses pirogues avec à leurs bords des jeunes gens, souvent trop jeunes, qui viennent vous offrir des services multiples et variées contre une petite rémunération (nettoyage de la coque, des inox, « guide » pour des excursions à terre, nous vendre des fruits, des légumes, du poisson, des lambis (délicieux gros coquillages locaux), faire notre lessive etc) . Jusqu’ici rien d’inattendu et ce premier contact est même plutôt sympa. Bien que poser l’ancre devient vite un exercice de style entre le mouillage qui ne tient pas très bien, toutes ces pirogues qui tapent sur la coque en s’accrochant autour du bateau et tous leurs occupants qui nous parlent et nous interpellent pour nous proposer leurs services. On ne s’entend plus à bord mais les enfants sont ravis et se disent qu’ils vont enfin avoir de la compagnie.
Bientôt comme c’est de coutume ici (et la seule façon de se libérer des 10 pirogues amarrées à PlanetOcean), nous choisissons les services de deux gaillards pour nettoyer la coque (qui en a largement besoin) et faire un peu de polish sur le pont. A île à Vache le marché du travail répond plus à la loi de la demande que de l’offre, et si tu ne fais bosser personne alors pourquoi venir à île à Vache se demandent les locaux. A moins que tu aies un chargement de dons à livrer à terre?

Pour aller au marché, il faut se rendre au village voisin à quelques kilomètres d’ici. Le meilleur et le seul moyen de transport pour s’y rendre ce sont nos jambes et nos pieds, comme les locaux. Il faudra compter 1h1/2 de marche aller, et à peu près pareil pour le retour. Sans doute moins si les moustiques sont de la partie et vous font presser le pas.

Nous étions à peine 4 ou 5 bateaux dans la baie or nous avons appris qu’il y a 10, 15 ans des dizaines de bateaux arrivaient tous les jours à île à Vache qui prenait alors des airs de chantier naval.

Le village constitué de belles petites maisons toujours très bien entretenues, arrangées et décorées ne nous a jamais semblé miséreux . Même s’il n’y a pas de meubles, si les lits sont très spartiates (une natte par personne) ni d’eau courante (il y a un puits dans le village) et encore moins d’électricité . La cuisine se fait au bois dans des petits braseros, la vaisselle dans des bassines et la douche se prend à la plage dans la mer. Par contre il y avait deux poteaux avec des prises pour recharger les portables (équipés de panneau solaires) et sponsorisés par Digicel (l’opérateur téléphonie mobile locale)! Jusqu’ici vous allez me dire, rien de très perturbant.Et pourtant..

«Donne moi, donne moi mais surtout donne moi à moi, pas à mon voisin»

Nous avons rencontré Philbert (un jeune garçon de 9 ans) grâce au bateau Begonia, une famille américaine qui s’était pris d’amour pour lui. Ne parlant pas français, ils étaient venu me demander de faire l’interprète auprès de son père pour aider Philbert à réintégrer l’école puisque c’est ce qu’il demandait. Enfin… Il demandait des sous pour aller à l’école. Je leur conseillais plutôt de rencontrer la directrice de l’école pour en discuter et si l’argent pouvait aider, alors de le donner à l’école plutôt qu’au papa de Philbert. Eh oui je l’avoue, dans cette drôle d’ambiance je commençais à voir un peu le mal partout.
Alors que je me rendais à l’école du village avec Philbert et la famille américaine, un pêcheur qui réparait son filet m’interpelle et me demande de l’argent pour son filet. Je lui explique que j’ai plutôt choisi d’aider cet enfant en lui payant ses livres d’école, son uniforme et un tuteur pour se remettre à niveau d’ici la rentrée prochaine afin qu’il puisse réintégrer l’école. Il lève alors les yeux au ciel et m’explique que je ferais mieux de lui donner les sous à lui. Qu’est-ce que je m’embêtais à vouloir aider ces « enfants démunis ».

 Un jour, alors que nous remuions ciel et terre pour réussir à organiser une projection de cinéma, il ne nous manquait plus que l’essence pour le seul générateur trouvé à terre et le tour était joué. L’homme que nous avions chargé de nous acheter de l’essence sur l’île principale d’Haïti (en échange d’un large pourboire pour la course tout de même) revint au bateau 2h avant la projection avec du … Gasoil! Nous lui expliquons que nous avions besoin d’essence, pas de gasoil… Il soupira, jura que nous lui avions demandé du gasoil puis conclut en nous demandant un surplus de pourboire. Nous refusons en rajoutant que mis à part son erreur nous faisions tout ceci pour la projection de cinéma pour les enfants et les habitants de son île. «J’m’en fous des enfants de île à Vache, ce ne sont pas mes enfants, donne moi plutôt encore un pourboire».
Heureusement nous avons dégotté quelques litres d’essence sur un bateau voisin, et notre projection pu avoir lieu au grand bonheur des petits et des grands. Cette séance de cinéma fut d’autant plus enrichissante que pour une fois il n’y avait aucun rapport d’argent. Nous partagions simplement nos rires, nos émotions et un bon moment ensemble. Nous étions enfin tous égaux, plus de différences sociales, de couleurs ni d’ages.

Nous avions entendu dire que nous pouvions également donner de vieilles voiles à «l’Association des Voiles d’île à vache», ce que nous nous apprêtions à faire lorsque des pêcheurs nous expliquèrent que le fameux Wagner qui collectait les voiles les revendait ensuite aux pêcheurs, et qu’il fallait arrêter ce trafic. Le même Wagner s’était d’ailleurs installé un internet café dans ce qui aurait dû être la bibliothèque du village (financée par une asso Canadienne!).

Tout est comme ça dans la baie à Ferret. Tout le monde tire la couverture à soi au détriment des autres. C’est chacun pour soi. Les relations humaines sont tellement faussées qu’à la fin j’avais l’impression que tous jouaient un rôle afin d’obtenir toujours un peu plus. Mais souvent je me suis demandé comment je me comporterais si j’étais dans la même situation qu’eux. Ferais-je toujours preuve d’autant de générosité, de bons sentiments envers mon prochain ou succomberais-je comme eux à sauver ma peau avant celle des autres? C’est facile d’être généreux lorsqu’on a encore quelque chose à offrir ou à manger dans son assiette tous les soirs.

 Lors de notre séjour, dans la baie mouillait un gros voilier breton chargé à bloc de dons pour l’orphelinat de île à Vache (qui déborde d’enfants depuis le dernier tremblement de terre), pour l’association des voiles d’île à vache et du dispensaire. Pendant 5 jours ils vidèrent leur chargement puis distribuèrent les surplus aux pirogues qui les accostaient (avec à leurs bords enfants, femmes, hommes ou familles). C’est alors qu’un groupe de pêcheurs qui rentraient de leur pêche cria aux pirogues accostées «Haïtiens restez dignes, arrêtez la mendicité»!!
Je compris alors que mes questionnements, mes doutes, ma parano n’étaient pas le seul fruit de mon imagination. Nous étions bel et bien témoins du contre effet d’une aide humanitaire « deshumanisante » et aliénante et perdions brutalement notre naïve vision de la bonne charité dé-culpabilisante des riches envers les pauvres.

 Les jours suivants nous souhaitions continuer d’aider Philbert mais nous ne voulions pas lui donner du matériel. Toujours donner des choses créer toujours plus de besoins, de dépendances et de mendicité. Et puis de toutes façons, tout ce que nous aurions pu offrir à Philbert aurait été collecté par son père (comme la brosse à dent et le dentifrice que nous lui avions donné le premier jour). Alors, en attendant qu’il trouve son tuteur, nous avons mis en place une sorte de chaine-école pour lui enseigner la lecture et l’écriture du français (langue officielle qu’il parlait pourtant à peine). Le principe est simple: donner une heure de notre temps à Philbert tous les jours pour lui faire école et le confier au prochain bateau français avant de quitter île à vache, pour qu’il prenne la relève et ainsi de suite. Cette démarche ne fonctionnera que si Philbert est motivé. En même temps s’il souhaite réellement réintégrer l’école il lui faudra beaucoup de motivation. Pour l’aider nous lui avons offert une méthode d’apprentissage de la lecture avec un petit mot expliquant notre démarche.
Au cours des leçons quotidiennes Noé et Camille sont tombés en amour pour Philbert qui était devenu une sorte de grand frère. Les séparations furent douloureuses. Je souhaite de tout mon cœur que cette chaine-école fonctionne et vous tiendrais au courant dès que j’arrive à avoir des nouvelles. Avis aux lecteurs navigateurs qui passeraient par île à Vache.

La présence de ce jeune garçon à bord à suscité de nombreuses questions de la part de Noé auxquelles nous n’avions pas toujours de réponses.
Noé: -Où sont les parents de Philbert?
Nous: Sont papa est à la pêche.
-Et pourquoi passe t-il toute la journée sur sa pirogue sans manger ni boire ni jouer?
Parce qu’il ne va pas à l’école?
-Et pourquoi ne va t-il pas à l’école?
Peut-être parce qu’il est un peu livré à lui même, que personne ne lui dit d’aller à l’école.
-Mais alors pourquoi ne part -il pas à la pêche avec son papa?
Peut-être aussi parce qu’en allant de bateaux en bateaux avec sa petite pirogue il récupère des cadeaux, de la nourriture pour sa famille.
-Pourquoi le nourrissons-nous (un soir j’ai récupéré Philbert qui n’avait rien bu de toute la journée avec des maux de têtes violents ? ) etc…..

 Souvent j’ai eu envie de lâchement quitter la baie à Ferret. Vite lever l’ancre et fuir le rôle qu’on nous imposait de bon blanc samaritain. Fuir les désillusions, les remises en questions que suscitait ce lieu.

Heureusement il y eu tout de même de brefs rencontres, comme celle de Philbert, ou bien encore celle avec JeanJean et Rose Mina le couple qui tenaient le seul « restau » local: le Kaliko Bar. J’ai pu cuisiner avec Rose Mina et échanger des recettes de cuisine. Ils m’ont également appris à préparer et cuisiner le Lambi.
Ou encore Kiki qui nous a fièrement emmené faire le tour de son village (sans rien demander en échange!!!) et fait faire de la pirogue à Noé. Mais ce fut très difficile de sortir du rôle qu’on nous imposait et qui faussait nos rapports avec les gens.

   
La vraie rencontre humaine, l’échange ne pouvait plus se faire, hormis entre les enfants qui malgré les barrières de la langue (les enfants parlent surtout créole) et de la culture, parvenaient à jouer et rire ensemble, simplement, naturellement , sans arrières pensées et sans préjugés.

La baie à Ferret de île à vache est sans nul doute très différente du reste de l’île et de Haïti. Grâce aux nombreux bateaux qui ancrent dans cette baie, les villageois bénéficient de nombreuses aides mais peut-être au détriment de vrais échanges humains.
Nous quittâmes île à Vache avec l’impression de n’y jamais avoir trouvé notre place ou d’avoir toujours refusé celle qu’on voulait nous assigner.
Pour voir nos photos cliquez sur ce lien: album photo de Haïti.

PlanetOcean

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