Transatlantique 22 janvier-6 février

22 janvier 2012
Dimanche, 15h, nous quittons la baie de Faja d’Agua sur l’île de Brava par temps gris.
J’entends encore résonner la musique que jouait l’équipage du MOMO (le bateau des norvégiens saltimbanques avec qui nous nous sommes liés d’amitié) alors qu’ils quittaient la baie, en partance eux aussi pour leur transat, et le klaxon du 4×4 de Didi et Eva qui nous disent au revoir, nous souhaitent bon vent et bonne chance. Poignant. À bord pas un mot… Les cœurs sont serrés, nous sommes dans nos pensées, chacun vit à sa façon ce grand départ et ces nouveaux adieux.
Très vite une sorte de brume épaisse avale l’île qui disparaît telle un rêve. On distingue à peine ses contours, on force sur nos yeux pour ne pas la perdre, on sait qu’elle est là et pourtant déjà elle n’est plus et nous laisse seuls en mer, face à l’océan Atlantique que nous espérons traverser en 15 ou 21 jours.
La houle est encore bien formée, de travers avec des creux de 3-4m et le vent pas trop fort, juste comme il faut (20 noeuds). Je me demande comment se passera cette traversée. Comment chacun de nous va la vivre. Noé voit disparaître la terre sans appréhension. Camille se réveille de sa sieste, un peu chahuté par les vagues mais il a l’air de vite retrouver ses marques.
Nous y voilà, c’est parti pour la grande traversée. J’espère que tout se passera bien, sans avarie et sans gros temps.

26 janvier
Notre capitaine est malade. Tous les symptômes d’une sorte d’intoxication alimentaire (bien que nous ayons tous mangé la même chose), à moins que ce soit le cumul de fatigue, couplé à une grosse mer qui lui aurait donné une forme de mal de mer… Vincent et moi assurons la navigation de jour comme de nuit et je prends soin d’Olivier cloué au lit mais dont l’état est stationnaire. Je surveille…. Hmmm…

28 Janvier
Ne pas penser à l’arrivée.. Ne pas penser aux 2000 miles qui nous séparent encore des Caraïbes. Ne penser qu’à sa route, seul aujourd’hui compte. Ne pas regarder le compteur des miles parcourus, ni calculer les miles qu’il nous reste encore à parcourir lorsque nous faisons le point sur la carte.
Seule la route compte, le cap, le réglage des voiles, les occupations des enfants pour qu’ils vivent sereinement leur espace restreint. Casser la monotonie spatiale pour mieux vivre la transat.
Nous glissons sur l’océan et pourtant j’ai parfois l’impression de ne pas bouger et ressens une grande sensation d’enfermement. Etrange ce mariage entre liberté et incarcération. Au début seul le sommeil me permettait de m’échapper loin du bateau, loin du mouvement incessant et du bruit permanent. Et puis vient l’abandon, cet instant où j’ai cessé de penser à l’arrivée, au nombre de jours qu’il nous restait en mer. Cet instant où j’ai accepté de vivre pleinement, en pleine conscience, le présent. Tout simplement vivre et apprécier chaque instant, lâcher prise et soudain mon espace de vie s’est élargie, mon monde était devenu infini. « Vivre notre quotidien et oublier où l’on va », faire de cette transat mon quotidien fut le seul moyen pour moi de bien la vivre.

29 janvier
Olivier va mieux. Ouf… Ce n’était rien de trop grave, une indigestion et le mal de mer . Nous allons pouvoir reprendre nos ¼ de nuit de 4h-5h seulement et les siestes de récupération la journée.
Mais il crise un peu notre capitaine parce que le vent est tombé et on se traîne à 3 noeuds… et ça il aime pas ! Il a pas l’air d’avoir envie de se faire une transat de 3 semaines. Bon je le comprends, nous non plus ; car nous risquerions alors être short en gaz, en eau douce et Noé ne pourrait pas revoir son copain Anatole qui est en vacances à La Martinique jusqu’au 11 février. En même temps, à part invoquer le dieu Eole, régler au mieux les voiles pour choper la légère brise, mettre le spi, on ne peut pas faire beaucoup plus.
Les enfants sont super, car pour eux non plus ce n’est pas toujours simple de vivre cette promiscuité constante, dans un bateau qui bouge tout le temps sans pouvoir sortir courir ou nager. Par contre, pas temps calme comme aujourd’hui, ils en profitent pour aller se défouler avec nous sur le trampoline. Au programme, roulades, galipettes etc.

30 Janvier. 1000 miles du cap vert… presque la moitié de la transat
Les ¼ de nuit se suivent et ne se ressemblent pas. À défaut de naviguer sous un ciel étoilé, ce soir nous glissons sur une mer d’étoiles, illuminée par des milliards de planctons phosphorescents. Hier soir la nuit était si calme qu’on se serait presque cru au mouillage, le vent faisait défaut et on se traînait à 3 nœuds (ce qui met le capitaine un peu en rogne). Et puis il y a des nuits comme cette nuit, il ne fait plus froid mais il pleut et le vent tourne sans cesse ne me laissant pas de répit. Il faut barrer pour soulager le pilote automatique et dès qu’on peut souffler un peu on rentre se mettre à l’abri et moi j’en profite pour vous écrire ces quelques lignes au beau milieu de la nuit et de l’océan.
Hier, alors qu’il y avait « pétole » nous en avons profité pour couper les cheveux aux enfants (et au capitaine) sur le trampoline suivit d’une douche à l’eau de mer et dernier rinçage à l’eau douce chauffée au soleil. Et puis nous avons sorti le spi, au grand bonheur des enfants qui le trouvent beau, même si Camille a « un peu peur » comme il le dit si bien. Et puis tant que c’était calme nous en avons aussi profité pour faire quelques ateliers (pâte à modeler, bande dessinée etc.) Lorsqu’il fait beau nous installons la petite piscine aux enfants (vive le cata), qui pataugent avec délices.

Aujourd’hui c’était l’anniversaire d’Olivier. Les enfants lui ont confectionné un collier comme cadeau; le vent était également au rendez-vous ce qui a eu vite fait de rendre le sourire au capitaine. Nous avons même pu manger dehors !

2 février
Les Alizés sont bien établis, régulier à 20-25 nœuds, et malgré une houle bien formée nous faisons enfin nos 7 nœuds de moyenne avec des pointes à 10 nœuds. Le capitaine a le sourire. Pour les enfants, on adapte les ateliers en fonction de la houle, du nombre de poissons volants qui ont atterri sur le bateau pendant la nuit et de la pêche. Ils vont être calé question anatomie du poisson …

Je me souviens…
Je me souviens lors de cette navigation à Brava de Puerto Da Furna jusqu’à Faja d’Agua. Des vagues de 3m dans le nez, secoués comme dans une machine à laver, je m’étais assise dehors sur la banquette à « l’abri » des vagues et du vent avec les enfants sur les genoux. Camille disait qu’il avait peur et Noé se plaignait un peu de commencer à avoir le mal au ventre. J’entrelaçais mes enfants pour les rassurer. Nous regardions Olivier à la barre, nous nous amusions à compter les grosses vagues et les surfs et riions (sans se moquer!) lorsque le capitaine se mangeait quelques embruns ou esquissait les plus grosses vagues. Et puis elle est arrivée : La Grosse Vague ! Celle dans laquelle PlanetOcean a est venu taper, et qui est passée par dessus le trampoline, le roof du bateau pour nous arriver droit dessus et nous tremper jusqu’aux os en un ¼ de seconde. Camille et Noé poussent un cri de surprise, tétanisés par la peur puis éclatent de rire ! Ah on fait moins les malins ! La vague a aussi inondé le bateau… va falloir se sécher et éponger.

4 février
PlanetOcean dévore les miles. Nous venons de modifier notre point d’atterrissage afin que Noé qui parle beaucoup de ses copains d’école, puisse voir son copain Anatole à la Martinique. Donc nous ne nous arrêterons pas à la Barbade… Si nous gardons la même vitesse de croisière nous devrions pouvoir arriver autour du 6 ou 7 février au port du Marin à la Martinique.
Les fins de journées commencent à être un peu difficiles pour les enfants qui ont alors besoin de se défouler physiquement mais la houle est trop forte pour aller jouer sur le trampoline.

Heureusement nos prises de pêche viennent les divertir un peu, les séances piscine-mousse permettent de faire sortir les émotions et les cabanes dans le carré (avec les coussins des banquettes) ouvrent d’autres horizons.

5 février
Avant cette transat je dois admettre que j’ai bien cru que jamais je ne me ferai aux bruits et aux mouvements brusques et permanents du bateau. J’appréhendais le mal de mer et ces 2 ou 3 semaines en huit clos au beau milieu des flots. Après ces 14 jours de mer, et surtout après avoir lâché prise, oublié l’arrivée et m’être plongée dans le présent je vis mieux la mer. La nuit pendant mes quarts j’ai parfois encore des peurs qui remontent, mais maintenant que j’arrive à mieux manoeuvrer la bête, je prends confiance. Le capitaine aussi puisqu’il n’accourt plus au 1er empannage. J’aurais même presque du mal à le tirer de ses rêves parfois pour me relever ou m’aider dans un virement de bord. Hi hi hi.
La mauvaise surprise ce matin au réveil fut de voir que notre foc commençait à se déchirer… Il va avoir besoin d’une remise en beauté en arrivant.
Nous devrions apercevoir la Martinique dans la journée de demain… Je n’ai presque plus envie d’arriver et je savoure mon dernier quart de nuit, seule avec Planet au milieu de l’océan. Je croise au loin le premier bateau depuis notre départ… Un avant-goût de la terre… Oh noooon !

6 février
10h du matin Terre en vue ! Au loin dans la brume…
J’avais imaginé que nous serions tous hyper excités à cet instant.. mais étrangement non… et il règne à bord une étrange atmosphère. Nous sommes tous un peu pensifs… il va falloir atterrir, se remettre à un autre rythme de vie.
Nous longeons la côte Sud de la Martinique. Les enfants viennent de réaliser que l’arrivée était proche et ils sont maintenant très excités à l’idée de pouvoir aller se baigner et jouer dans le sable. Le vert de la forêt tropical flash sur l’eau turquoise.
Un premier portable est ranimé .. et aussitôt il sonne… « Orange vous souhaite la bienvenue à La etc.. » OOhh Naannn !
15h Nous mettons l’ancre à l’eau ! 15 jours après notre départ du Cap Vert. 15 jours qui pour moi resteront une belle leçon de vie, avec la nature, avec le temps, avec moi même.

Stéphanie